Eline Rivière

On peut créer un paysage sans savoir ce que c’est : par exemple les terrasses construites par les paysans, ou les bories créées par les bergers. Création utile, création esthétique… Les gens demandent de plus en plus leur petit coin tranquille : on va créer pour eux leur petit coin de paradis – une référence au jardin d’Eden ! – avec zone de confort maximum, ou des poumons dans les zones urbaines.

Au Lignon, il y a cet affrontement entre une nature domestiquée – moulins, terrasses, chemins pavés… – et une nature sauvage, spontanée, qui, maintenant, prend le dessus.

…Le Lignon, avec les vacances au bord de l’eau, les dessins sur des tuiles, qui disparaissent avec la pluie, le calme, le bruit de l’eau, la brillance de l’eau qui reflète, et cette odeur de vase, les limons sous le pied quand on glisse en traversant la rivière – ou l’aspect rugueux, le brûlant des pierres basaltiques. On s’amusait à se faire mousser les mains avec les fleurs de saponaire… Ou les basaltes que l’on tapait l’un contre l’autre et ça faisait des étincelles. Ou les plaques de glace sur les rochers, en forme de phoque ou de poisson.

Pour moi, la présence de l’eau est essentielle. Les jardins d’eau c’est ce que je préfère, mais en préservant l’aspect naturel. Une base de jardin anglais, avec un aspect fouillis, pas structuré, et les fleurs qui éclatent, avec des couleurs variant selon les saisons.

« Quand je rentre chez moi en mon coin de Fabras
Je m’aperçois en fait que j’aime cet endroit.
J’y dessine les champs et plus rien ne m’agace.
Partir sur les sentiers, grimper les pavés froids…
Les gens y parlent franc, c’est comme la nature.
Depuis que j’y suis née, je ne l’ai pas quitté.
Dans les murs de pierre je vois des créatures
Et j’invente des histoires que je vais vous conter.
La lune de pleine face entourée des étoiles
Arrose le printemps et, le matin venant,
De givre et d’argent je vois ce lieu présent.
Et je me souviendrai, ô longtemps, sur la toile
De ce que m’a donné et jusqu’à la rivière
Cet endroit merveilleux, ce joli coin de terre. »

…Dans le paysage, il y a un triangle, un schéma qui retrace les rapports complémentaires entre l’homme, les troupeaux et la nature. Je regrette les paysages « utiles », tels qu’ils étaient avec les béalières, les terrasses structurées : en haut, les habitations, les magnaneries et les clèdes, les espaces pastoraux. Et en descendant, les besoins ménagers – potager, puis céréales, fruitiers… Le triangle fertile homme / animal / environnement.
Les terrasses étaient devenues inutiles, à mes yeux. Mais en y revenant… Et les passages des sangliers dans les bois : les animaux aménagent à leur façon les paysages.

…Quand on peint un paysage qui est devant nous, il y a toujours la touche personnelle (« J’aimerais bien que ces feuilles soient plus tendres… »), même si c’est réaliste. Un petit élément diverge dans l’image. Ensuite, si quelqu’un est ému en voyant ce tableau, le peintre va-t-il recréer un paysage sans être sûr que l’émotion se transmettra ?

Un peintre, sensible à tel ou tel élément d’un paysage, va procéder par « copié-collé » vue-cerveau-pinceau. Même si cela paraît irréalisable, profond, imaginaire, il retrouvera dans le même lieu, celui du paysage, son éden imaginaire – pour son bien-être.

Au contraire, il pourra peindre un endroit qu’on ne veut jamais voir et qu’on essaye de montrer pour l’éloigner de son esprit : je montre ce que j’aime et ce que je déteste. Ensuite viendra l’échange entre le peintre et le spectateur – ou entre la toile et le spectateur, l’interprétateur.

Devant un paysage, c’est la même chose, c’est toujours une composition : on essaye de retrouver, de refaire dans un espace – grand jardin ou petite toile de 50 centimètres – une composition avec des éléments en harmonie.

Dans un lieu comme Fabras il faudrait pouvoir trouver un lien entre tous les aménagements que chacun a fait autour de sa maison. Un lien éclaté, un village un peu comme une pieuvre – que cet environnement ne soit pas comme ailleurs. Comment faire avec le mélange des goûts de chacun ? Pourquoi ne pas jouer sur les espaces grands ouverts ? On n’a pas besoin de morceler notre territoire. J’aime quand c’est aéré !

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